A la suite de la publication du livre de notre collègue Véronique, nous avons tous ressenti le besoin, plus ou moins pressant selon les cas, plus ou moins urgent selon les situations psychologiques ou professionnelles, de prendre contact avec elle, la transmuant alors en déversoir de nos malaises. Sans doute, comme elle l’a fait avec moi, a-t-elle à son tour personnellement pris langue avec vous, ou non, elle n’a pas que ça à faire non plus, bien que, comme nous tous, c’est bien connu, et pour peu qu’elle soit agrégée, elle ne travaille que quinze heures par semaine, avec six mois de vacances en prime…
Nous nous sentons tous dans des mesures particulières à chacun, parfois dévalorisés, parfois humiliés, parfois désavoués, mais le plus souvent, et je pense là résumer notre état d’esprit commun, bien que ne vous connaissant pas tout en vous connaissant très bien, méprisés et piétinés.
Nous sommes tous dans des situations de souffrance de degrés variables, certains dans le vague spleen, d’autres dans la dépression profonde. Je suis moi-même en arrêt maladie depuis bientôt trois mois, en raison de circonstances que j’ai exposées à Véronique, dans un courrier de six pages que je l’autorise et encourage à diffuser après de vous, et uniquement auprès de vous, chers collègues, pour des raisons précisément contenues dans ledit courrier…
Personnellement, et pour ne rien vous cacher de mon état d’esprit actuel, j’en ai, doux euphémisme, plus que par-dessus la tête d’être constamment mis en procès et considéré comme un étron par, au choix, les élèves, les parents, l’administration, la hiérarchie, certains collègues ( pas la majorité heureusement…), ou tout ce joli monde à la fois.
Ce que je considérais comme une mission, l’imparfait s’impose, la transmission d’un savoir, d’une culture libératrice, d’une sensibilité, est devenu le monde qu’Atlas devait soulever sur ses épaules, et, gros inconvénient, je ne dispose plus de levier. En bref, je ferai tout pour ne plus jamais remettre les pieds dans une salle de classe. Les choses étant ce qu’elles sont, à mon âge en plus, je sens bien que cette dernière assertion relève du vœu pieux plus ou moins incantatoire, et que je devrai y retourner en septembre.
Tout ce que j’ai, comme vous, subi tout au long de ces années a, pour l’instant totalement détruit ces belles dispositions.
Alors, comme disait Lénine, que faire ?...
A la fin de mon courrier, j’expose une idée qui pourrait s’avérer salvatrice dans le principe, mais qui soulève bien des problèmes. Le fait que je me trouve selon mon médecin traitant, dans une « dépression majeure », n’enlève rien à ma combativité.
La question initiale est à mon avis la suivante : sommes-nous décidés à continuer comme ça, avec tous les risques ne serait-ce que sur notre santé, ou bien, nous décidons-nous, enfin, à réagir et faire quelque chose ?
Je suggère donc la création d’une association, ou toute autre forme juridique acceptable ou imaginable, qui pourrait se nommer Collectif National de Défense ( Surtout pas d’Auto-Défense…) des Enseignants, toutes structures confondues, du primaire au lycée, l’Université étant sans doute moins concernée en cette occurrence.
Les idées directrices restent à définir entre nous, et c’est là que la première difficulté apparaît, puisque je suppose que nous sommes tous répartis sur le territoire, et nous serons chanceux s’il n’est que métropolitain…
Ces idées directrices, si nous décidons de créer cette structure, restent donc à décider entre nous, à condition que nous ayons l’âme chevillée au corps : nous attaquons la falaise monolithique de la Grande Muette, et, à son inverse, nous allons faire des vagues, et ne plus rien laisser passer. Les ennuis qu’on va nous faire vont être de tous ordres, et nous pouvons être sûrs qu’on ne nous ratera pas, avec, venant du système laminatoire, toute la capacité de politiquement correct, de mauvaise foi et de volonté destructrice ainsi engendrée. Vous savez aussi bien que moi, Chère Marquise, que tout va très bien….
Pour ma part, j’ai d’ores et déjà imaginé quelques principes fondamentaux, qui ne correspondent bien entendu qu’à mon seul avis, et dont je souhaite débattre, puisqu’on trouve toujours beaucoup plus d’idées dans cent têtes que dans une seule.
Je me permets ici de n’en exposer qu’un seul, pour moi inacceptable. Devant notre bronca, une tentative de rébellion de notre part après les différents évènements récents de l’actualité, et surtout ce que nous subissons à chaque seconde dans nos classes, il est particulièrement aisé d’interpréter notre éventuelle réaction comme une récupération populiste, individualiste et corporatiste, donc correspondant bien au délire sécuritaire qui nous accable depuis….Je vous laisse le choix de la période…
Il est donc dans mon esprit moralement impossible de considérer les portiques de détection, l’intervention de la police ou d’autres « corps constitués » issus de la fertile imagination de notre cher ministre dans les collèges, les fouilles de nos élèves comme une solution.
Ce qui se déroule quotidiennement dans les établissements scolaires n’est que le résultat d’une déliquescence d’une société, qui tente de faire croire à la facilité de toute chose, à l’inutilité de l’ effort, de la beauté, de la culture, de la sensibilité, qui s’acharne à ne considérer que l’argent comme valeur ultime, à traîner dans la fange intellectuelle et l’individualisme forcené les plus démunis (ou non…) parmi certaines classes sociales, par le biais de médias, cette fois populistes, d’« exemples » people noyés dans la cocaïne, bref, à attirer le plus de monde possible vers le bas, alors que notre métier consiste justement à emmener le plus de monde possible vers le haut… Nous serions d’autant plus heureux si parmi nos collègues, il ne s’en trouvait pas pour débattre en salle des profs des derniers résultats de la Starac…
« La folie ne serait-elle pas de voir les choses, non pas telles devraient être, mais telles qu’elles sont », disait Cervantés. Ca ne nous rajeunit pas, et rien n’a changé…
Plus un seul établissement scolaire, Z.E.P, zone sensible ou pas, n’est épargné.
La contradiction est donc majeure, et la source de tous nos ennuis est là. Comment voulez-vous que je fasse ressentir le sublime du deuxième mouvement du Concerto de clarinette de Mozart, mis en concurrence et à égalité avec la violence du rap, (Contre lequel je n’aurai que des griefs mineurs…) avec la bénédiction des textes officiels…?
Voilà. Je soumets l’idée, si Véronique veut bien servir de go-between, elle n’a pas que ça à faire, et si bien entendu, la teneur de ce texte correspond à son propre constat et à ses propres idées. Je suppose qu’elle est en possession de vos diverses adresses, mais tout ceci prend du temps, et sans doute de l’argent, à moins qu’elle ne le publie sur le blog qu’elle a décidé de créer. Mais dans ce cas, les ennuis commenceraient avant même la création de ce Collectif…
Décidons-nous de nous lever, ou restons-nous aplatis ?
Michel GENESTIN Reims
Michel GENESTIN Reims