Les profs au centre d'un marchandage politique ?

Qu’un enseignant soit invité par le Ministre de l’Education nationale pour s’entretenir avec lui en tête à tête est plutôt inhabituel. C’est pourtant ce qui s’est passé, Xavier Darcos m’ayant reçue dans son cabinet en avril dernier après avoir lu mon dernier livre, Ces profs qu’on assassine, consacré au malaise enseignant. L’entretien a duré une heure. Rien à voir donc avec le speed dating organisé deux mois plus tôt au cours duquel onze professeurs, invités à l’Elysée, ont disposé de trois à quatre minutes chacun pour s’exprimer.

Certes, je n’ai pas eu l’« honneur » de recevoir un bouquet de fleurs des mains du président Sarkozy à l’issue d’un déjeuner agrémenté de ravioles de gambas et arrosé d’un Vosne-Romanée 1996. Pas même un verre d’eau ! Juste une visite en bonne et due forme du ministère. On ne m’a pas non plus proposé de mission comme celle que le rectorat de Créteil a confiée à Sébastien Clerc, l’enseignant auteur de Au secours ! Sauvons notre école, afin de mettre en place un stage de « tenue de classe » pour sensibiliser les jeunes profs aux vertus de la discipline.

Mais avec du recul, je me dis que c’est finalement une bonne chose. Je garde ainsi intacte ma liberté d’expression et d’action sur un sujet qui dépasse largement les clivages politiques. Car, si j’ai accepté cette invitation, c’est parce que je pensais que le Ministre apporterait des débuts de solutions aux problèmes soulevés dans mon essai : le suicide et la dépression des profs, la violence des élèves, la pression de leurs parents, l’inefficience des syndicats, le laxisme des proviseurs… Autant de thèmes sur lesquels mon hôte ne s’est pas attardé, arguant que ce n’était pas de sa faute si les enseignants allaient mal. D’après lui, ils ne seraient pas assez solidaires et certains d’entre eux tout bonnement pas faits pour ce métier.

Aurais-je mis le doigt sur un sujet tabou ? Suite à notre rencontre, Xavier Darcos m’a fait savoir par l’entremise d’un conseiller qu’il avait porté un regard « bienveillant » sur mes propos. L’avenir dira si cette bienveillance se traduit par des actes concrets ou bien si elle repose sur une stratégie d’ouverture destinée à séduire le corps enseignant dont le gros des troupes est plutôt réfractaire à la politique gouvernementale. En attendant, des professeurs continuent de souffrir en silence, en témoignent leurs nombreuses lettres où ils me font part de leur profonde détresse. Loin des dorures des palais de la République…

Véronique Bouzou


Cet aricle a été publié sur le site de l'Institut de Recherche Indépendant pour l'Education (IRIE).

Mes livres

Les hussards noirs de la robotique

Génération Treillis

Je suis une prof réac et fière de l'être !

Ces profs qu'on assassine

L'Ecole dans les griffes du septième art

Le vrai visage de la téléréalité

Confessions d'une jeune prof