A travers ce blog, je m'efforce de retracer au mieux la souffrance et le désarroi de bon nombre d'enseignants. Je dénonce également les aberrations d'un système éducatif défaillant. Mais les professeurs ne sont pas les seuls à souffrir des dysfonctionnements de l'école, loin s'en faut. Les enfants demeurent bien évidemment les premières victimes - cobayes impuissants - de pratiques "pédagogistes" ubuesques. C'est pourquoi, je retranscris ci-dessous dans son intégralité le message que m'a envoyé la mère d'un enfant de CP. Je partage pleinement son point de vue que je trouve très bien argumenté et qui mérite d'être largement diffusé.
VB
Bonjour,
Je découvre votre blog, et n’ai malheureusement pas le temps d’en lire l’intégralité. Mais je suis convaincue de la souffrance de nombre d'enseignants, que je respecte.
Cela dit, je regrette vivement, pour ma part, de ne jamais trouver quiconque pour parler de la souffrance de nombre d’enfants, du fait de l’école, des méthodes pédagogiques aberrantes qui les laissent, pour citer Liliane Lurçat, en situation d’"abandon pédagogique".
Que penser, par exemple, de l’état dans lequel peut se trouver un jeune ado arrivant en 3ème sans toujours, à l’âge des premières amours et des grands chamboulements, savoir transcrire correctement les sons du français, sans savoir lire ni écrire avec aisance, comme l’atteste le blog de Marc-Olivier Sephiha, parmi d'autres ?
Que penser de l’état de ces 40 % d’enfants sortant du primaire sans savoir lire, écrire et compter correctement, et qu’on envoie au casse-pipe du collège en sachant pertinemment bien qu’ils ne pourront y "suivre une scolarité normale", faute d’avoir les bases suffisantes, comme l’attestent le rapport du Haut Conseil de l'Education et d’autres documents, dont même une statistique de la Direction de la prospective de l’Education nationale elle-même ?
Que penser de l’impact sur des enfants du primaire des menaces en tout genre dont ils peuvent être l’objet, en cour de récréation, parfois avec passage à l’acte les mettant en réel danger, ou au minimum en situation d’humiliation voire de grande angoisse, sans que les adultes de l’école interviennent, comme c’est très souvent le cas ? ( Combien de fois n’ai-je pas entendu, quand je demandais si les adultes surveillant la cour n'intervenaient pas : "Non, maman, ils bavardent entre eux devant la porte de l’école, pour fumer une cigarette"?, ou : "Il m’a dit de me débrouiller tout seul pour apprendre la vie"...[sic ! Nous sommes de nombreuses mamans à nous être entendu rétorquer ce genre d’arguments, aussi !]
Ainsi, mon propre fils, en CP, était rentré un soir le visage décomposé, le regard chaviré de panique : "Maman, il y en a un qui va me tuer, il me l’a dit, il m’a dit qu'il me ferait comme ça", et je vois mon costaud pourtant pas timide passer son doigt sur sa gorge, répétant le geste menaçant du "grand" qui avait menacé de lui couper la gorge...
Vu l’état d'angoisse que je constatais, et ayant rendez-vous les jours suivants avec le directeur et l’instituteur, j'en profite pour leur citer l’incident, afin, pensais-je, qu’ils redressent un peu les bretelles au "grand".
Réaction de concert : "Bof ! Font tous ça !"
Voili-voilà... Moi, en tant qu’adulte, si on me menace de mort sur le trottoir, eh bien, je peux porter plainte, c’est interdit par la loi. Mais la loi, apparemment, ne protège que les adultes, pas les enfants, en tout cas pas dans l’école... !
Pourtant, à mes yeux, la plus grande violence que subissent les enfants à l’école, notamment l’école primaire, c’est bien ces méthodes "pédagogistes" monstrueuses, qui font que presque la moitié des effectifs du primaire se retrouvent étiquetés "dyslexiques" ou "dys-" autre chose, sans avoir eu la moindre déficience à leur entrée au CP...
Des méthodes qui leur imposent le fonctionnement mental de quelques "pédagos" convaincus que le cerveau d’un enfant ne peut fonctionner QUE d’une seule manière, la leur.
Et qui amènent au collège presque la moitié des effectifs du primaire en état de déshérence scolaire totale, sans la moindre notion d’une foule de choses théoriquement considérées comme des "bases" indispensables... Des "bases" vues au pas de course, ou jamais vues, données assez souvent à "revoir" quand elles n’ont jamais été données à "apprendre", des "notions" vaguement "abordées", qui ne s'articulent pas entre elles, qui ne donnent pas aux enfants les "clefs" pour comprendre, à ces enfants supposés pouvoir "déduire" par eux-mêmes, deviner, synthétiser par eux-mêmes le chaos que proposent les manuels d’aujourd'hui, dans une mise en pages digne, écrit quelque part une enseignante rebelle, des pires "magazines people", où un chat ne retrouverait pas son petit...
Enfin, les manuels... quand il y en a ! Car l’école d'aujourd'hui a aussi "inventé" une nouvelle version de l’école : une école sans livres, avec des bouts de papier copiés-collés d’Internet, quand ils ne se retrouvent pas tout froissés au fond du cartable !
Ce n’est du reste pas toujours une grosse perte, car... provenant d’Internet ou du cerveau fatigué de l’instituteur en fin de journée, on y trouve, bien souvent, une accumulation de phrases mal fichues, de fautes de grammaire, d’orthographe voire de contresens ou de non-sens assez affligeants... : un instit' peut être bon instit et un auteur désastreux... Les livres provenant d’éditeurs, eux, sont, au minimum, passés au crible d’une équipe éditoriale et d’un service de correction...
Mais le doute, visiblement, ne s’enseigne pas dans les IUFM.
Toujours est-il que, ce faisant, c’est à coup sûr la "double peine" pour nombre d’enfants un peu faibles, un peu immatures ou un peu alourdis ou déboussolés par une histoire compliquée, ou simplement pour les élèves un peu inattentifs en classe, bref... pour une foule d’enfants : celui qui n’a pas recopié correctement du tableau le contenu de sa "leçon" à apprendre, eh bien... il ne pourra pas l’apprendre à la maison, et il ne pourra pas non plus se faire aider à la maison, vu que le parent, sans le manuel qui servait auparavant de "vecteur" entre la classe et la maison, est, aujourd’hui, bien en peine et de "deviner" sur quoi a porté le cours de la journée, en classe, et de reprendre avec son enfant les choses demeurées incomprises en classe, si son enfant en perdition n’est pas capable de lui restituer tout cela : sur quoi a porté la leçon, et ce qu’il n'a pas compris.
Ces enfants-là (dont fait partie mon fils, vous l’aurez deviné !), QUI parle de leur souffrance abominable, à se traîner pendant les 5 années de primaire sans jamais trop comprendre ce qui se fait en classe et sans, donc, trouver l’aide nécessaire à la maison, à se voir étiqueter "dys"-truc et "dys"-machin à tour de bras – parce que, n’est-ce pas, quand l’école échoue à enseigner un enfant, et même si ce sont 40% de ses élèves, eh bien c’est forcément l’enfant qui en est la cause, jamais les méthodes de l’école ! –, QUI parle de la perte d’ego qui s’ensuit, à se voir toujours cataloguer dans les "Tu peux pas, pas grave, fais ce que tu peux...", QUI décide que "ne pas pouvoir", ce ne serait "pas grave", quand l'autre partie de la classe, elle, semble progresser... ?
Alors, pour ma part, je souhaiterais qu’on s'interroge non pas seulement sur le fait que les élèves, notamment arrivant au collège, sont de plus en plus violents, mais sur l’origine de cette violence, qui les habite apparemment de plus en plus jeunes : certes, l'école "ne peut pas tout" et ne peut donc être tenue responsable de tout, mais... je pense qu'elle apporte une "pierre" terrible, à la construction de ces comportements agressifs, en "baladant" les élèves d'une classe à l'autre, pendant tout le primaire, sans leur donner les moyens de suivre, en le sachant et en fermant les yeux, tandis qu’ils sont, eux, des années durant, dans une souffrance dont ils ne peuvent même pas se défendre voire probablement prendre réellement conscience. "J'y arrive pas, j'suis nul..."
Que ces jeunes, en grandissant, perdent toute confiance dans ce monde des adultes, et en particulier enseignant, qui n’a pas su les rendre "aptes à suivre", qui les a plongés dans une incompétence scolaire crasse avec des mines de " On fait c'qu'on peut, c'est votre enfant qui ne peut pas... ", qui a des années durant tenté de leur faire accroire qu'ils étaient incapables d'être des élèves comme les autres (40 % !), qu'ils perdent tout respect pour ces mêmes adultes, qu’ils éprouvent de la hargne, quand, au collège, ils se prennent dans la gueule l’évidence : ils sont devenus des élèves "qui ne peuvent pas", cette fois, réellement, car ils n'ont pas même les bases des bases !
La "méthode globale" est d'une nocivité effarante pour un grand nombre d'élèves, et, hélas, ce n’est pas que la lecture que l’on enseigne de manière "globale", ce sont tous les contenus du primaire ! On y passe sans cesse du coq à l'âne, on saute par-dessus d'énormes "trous", on déverse une foule de détails parfois dignes d’une "grande école" dans le cerveau d'enfants qui ne maîtrisent pas le présent, le passé, le futur et l'imparfait, n’ont jamais entendu parler des notions les plus fondamentales en histoire, géo, maths...
Et, cerise sur le gâteau, quand, par hasard, les élèves du primaire "rencontrent" dans leur périple enfin un sujet "classique", style Les Invasions barbares au Moyen-Age, eh bien, on fera en sorte que, surtout, ils n'entendent pas parler du seul Barbare connu de tous, y compris de leurs parents, grands-parents, oncles et tantes, avec qui ils pourraient faire valoir leur nouveau savoir : Attila !
L’école non seulement n’enseigne plus les bases indispensables à tout élève, quelle que soit sa forme d’esprit, pour qu’il puisse progresser selon SON fonctionnement mental à lui, mais l’école supprime toute "référence" aux savoirs des anciens, à ce que leurs parents, les adultes de leur entourage, les oeuvres littéraires ou picturales vont les mettre en demeure, pourtant, de connaître.
Ainsi, pour revenir à l’exemple de mon fils, eh bien... Il a "vu" plus qu’"appris" : les Barbares sans mention du nom d'Attila, Clovis sans aucune mention du vase de Soissons, Charlemagne sans que les noms de Roland, de Durandal ou de Roncevaux soient cités... Sans parler des "trous" dans la chronologie, rendant toute approche logique impossible.
Et... par la magie des "cycles", ayant changé d'école en CM2, devinez quoi ? Son CM1, à Paris, s'était arrêté au début du Moyen-Age, et... son CM2, en province, a démarré à la Première Guerre mondiale !!!!
Un petit "trou" bien difficile à combler – la totalité des rois de France, la Révolution, Napoléon, etc. ! –pour la maman que je suis, maintenant, qu'il est en 6ème, et qu’il doit s’accrocher aux branches pour parvenir à déchiffrer ses leçons sur l’Antiquité égyptienne et grecque... Lui qui, comme 40 % d’autres élèves venant du primaire, ne lit pas encore couramment... Et ne lit, donc, toujours aucun "vrai" livre : difficile, donc, de se familiariser avec nombre de tournures grammaticales, difficile d'enrichir son vocabulaire, quand on ne lit pas de livre et qu'on n’a "que" les leçons de l’école pour vous nourrir l'esprit...
Il faut dire que trouver un livre accessible à son âge, qui ne demande pas de connaissances historiques, géographiques et emploie une syntaxe, une grammaire et un vocabulaire style "J'aime lire", seul "manuel" de lecture qu'il ait eu pendant tout le primaire, ce n'est pas, non plus, chose facile.
Je ne suis pas loin de dire, aujourd’hui, qu’il se trouve dans une situation qui pourrait laisser penser qu’il n'est tout bonnement pas allé à l'école primaire... 5 ans de quasi perdus. Sauf la souffrance engendrée chez lui, pendant ces 5 années, où il a été tel une coque de noix sur un océan bien remuant.
Enfin... il a tout de même eu, l’année dernière, en CM2, une copie double A4 sur l’ONU relevant d’une première année de Sciences po, une autre sur l’émancipation de la femme à l’occasion de la Première Guerre mondiale – sujet hautement parlant pour un garçon de 10 ans d’aujourd'hui ! –, une autre sur les enfants des rues de Bogota et ceux "privés d'école" dans les pays pauvres (on ne s'est pas regardés, NOUS ! Je parie que les gosses du Sahara-Occidental, qui ont classe sous des tentes en plein désert, ne sont pas 40 %, EUX, à ne pas maîtriser la lecture et l’écriture en fin de primaire !!!), et une autre encore sur les migrations des populations sub-sahariennes... sans toutefois trop savoir où se trouvaient Marseille, Paris et Lyon, quoique... il ait aussi eu une longue "leçon" à recopier sur les "dom-tom", dont il était loin de se doute que le "d" signifiait "département", vu qu'il n'avait jamais entendu parler des départements de métropole, d'une manière générale !
C’est à se taper la tête contre les murs... Je plains les enseignants conscients des dégâts engendrés et... qui demeurent pieds et poings liés, rendus incapables de contrer ces méthodes et leur pouvoir destructeur.
Mais... et nos enfants cassés, qui en parlera un jour ? Ceux qu’on envoie en masse se faire "soigner" ou "suivre" au CMPP, dans les SESSAD, ceux qu’on "oriente" en SEGPA, UPI et autres "classes adaptées", pour ces enfants que l’école n'a pas su "adapter" au cursus scolaire normal...?
Enfin, pour ceux qui ont été "diagnostiqués" comme étant en grande difficulté... Car, aujourd'hui, on peut arriver en 3ème sans savoir lire couramment, et sans... pour autant avoir été reconnu comme étant en grande difficulté, il fallait y penser !
"Pauvres enfants", comme l’écrit l'une des intervenantes dans le Rapport de l’Association des professeurs de lettres au collège.
Pardonnez-moi, donc, de profiter de votre adresse e-mail pour vous poster ce message, dans l'espoir qu'eux aussi, un jour, trouvent parmi les plus rebelles, les plus révoltés d'entre vous, la voix qui s'élèvera pour non seulement plaider la cause des enseignants révoltés et dignes, ô combien, d’admiration et de respect, mais faire valoir l’immense injustice qui transforme des centaines de milliers d'enfants, depuis plus d'une décennie, en petites victimes d'un système scolaire aberrant et calamiteux.
Et qui leur vaut ou vaudra, on ne peut en douter, un abonnement sinon chez le psy, au moins chez Pôle Emploi !
"L'école d'aujourd’hui fabrique une société de psychotiques", me disait il y a quelques années une psychologue spécialisée dans les apprentissages...
Car l’école, aussi, oublie aujourd'hui une chose, pourtant essentielle : quand elle crie que "c'est la faute à la société", qu’elle ne peut qu'être " le reflet de la société ", elle oublie que cette société, c’est elle, en premier lieu, qui la fabrique !
Elle, qui se targue, depuis des décennies maintenant, de "fabriquer des citoyens" comme elle les veut... quand, auparavant, c’était la lecture de Montaigne, de Montesquieu ou de Voltaire qui fabriquait, chez des élèves aux têtes bien faites, les citoyens qu’ILS décidaient de devenir.
Bien cordialement, et en vous souhaitant de vous faire entendre, pour le bien des grands et des petits !