C'est ce soir qu'est diffusé sur France 2, inédit en clair, le film Entre les murs à partir duquel j'avais sorti un livre au vitriol intitulé L'Ecole dans les griffes du septième art (Editions de Paris, 2008). Pour ma part, je ne m'infligerai pas un deuxième visionnage de ce film. Je regarderai plutôt Le maître d'école diffusé le même soir sur TMC. Ci-dessous, vous trouverez l'interview que j'avais accordée à SOS Education à la sortie du fillm...
SOS Education : Véronique Bouzou, vous êtes professeur de français. Quelle est votre réaction devant l’image que le film Entre les murs donne des enseignants ?
Véronique Bouzou : Lorsque j’ai vu le film en avant-première au mois de juin, j’ai ressenti le besoin immédiat de réagir vivement contre une vision de l’enseignement que j’estimais être une imposture. J’ai écrit un livre afin qu’une voix dissonante, émise par un professeur de français en activité dans des quartiers difficiles, puisse s’élever au milieu du concert d'éloges dithyrambiques qui a salué cette Palme d'or, éloges prononcés par des gens qui n’ont jamais mis un pied dans les Zones d’Education Prioritaire.
J’ai lu, ici ou là, que François Bégaudeau était un « prof en or », un pédagogue à l’écoute de ses élèves, à l’inverse des enseignants « réacs » et autoritaires. En réalité, il véhicule une image déplorable du professeur. Celui qu'il incarne à travers le personnage de François Marin est laxiste, gamin, provocateur et irresponsable. Il n’exerce pas son métier, qui repose avant tout sur la transmission de connaissances et de méthodes, mais préfère se complaire avec ses élèves dans des joutes verbales qui ne mènent nulle part.
Quant aux autres enseignants, ils sont presque inexistants. L’un d’entre eux semble un peu plus réactif que les autres lorsqu’il déplore qu’il faille « acheter la paix sociale ». Mais, dans l’ensemble, on les sent fatalistes, fatigués, découragés. Ils ne sont pas aidés par le principal du collège, qui explique aux élèves qu’il ne leur manque pas de respect en leur demandant de se lever lorsqu’il entre dans la classe. Il est inutile de brandir le mot « respect » à chaque fois que l’on veut asseoir son autorité. Le bon sens suffit à instaurer des règles admises facilement par les élèves.
Véronique Bouzou : Lorsque j’ai vu le film en avant-première au mois de juin, j’ai ressenti le besoin immédiat de réagir vivement contre une vision de l’enseignement que j’estimais être une imposture. J’ai écrit un livre afin qu’une voix dissonante, émise par un professeur de français en activité dans des quartiers difficiles, puisse s’élever au milieu du concert d'éloges dithyrambiques qui a salué cette Palme d'or, éloges prononcés par des gens qui n’ont jamais mis un pied dans les Zones d’Education Prioritaire.
J’ai lu, ici ou là, que François Bégaudeau était un « prof en or », un pédagogue à l’écoute de ses élèves, à l’inverse des enseignants « réacs » et autoritaires. En réalité, il véhicule une image déplorable du professeur. Celui qu'il incarne à travers le personnage de François Marin est laxiste, gamin, provocateur et irresponsable. Il n’exerce pas son métier, qui repose avant tout sur la transmission de connaissances et de méthodes, mais préfère se complaire avec ses élèves dans des joutes verbales qui ne mènent nulle part.
Quant aux autres enseignants, ils sont presque inexistants. L’un d’entre eux semble un peu plus réactif que les autres lorsqu’il déplore qu’il faille « acheter la paix sociale ». Mais, dans l’ensemble, on les sent fatalistes, fatigués, découragés. Ils ne sont pas aidés par le principal du collège, qui explique aux élèves qu’il ne leur manque pas de respect en leur demandant de se lever lorsqu’il entre dans la classe. Il est inutile de brandir le mot « respect » à chaque fois que l’on veut asseoir son autorité. Le bon sens suffit à instaurer des règles admises facilement par les élèves.
Dans votre livre, l’Ecole dans les griffes du septième art, vous évoquez certaines fautes pédagogiques commises par François Marin, le personnage joué par François Bégaudeau. Quel jugement portez-vous sur les méthodes de votre confrère ?
V.B. : Dans le film, le professeur François Marin commet de multiples erreurs. Le jour de la rentrée scolaire, il laisse le chahut s’installer dans la salle de classe sans réagir. Il demande même aux élèves l’autorisation de parler et, lorsqu’une adolescente lui répond du tac au tac, « j’vous autorise », il ne la reprend pas. Les élèves savent donc d’emblée qu’ils peuvent tout se permettre avec cet adulte qui leur permet tout. Il ne pose aucun cadre et n’installe jamais le silence en début d’heure pour marquer le commencement du cours. La salle de classe devient ainsi une extension de la cour de récréation.
Tout découle de ce laisser-aller. Le professeur ne reprend pas les erreurs langagières des élèves. Il va même jusqu’à employer le terme de « pétasses » pour qualifier l’attitude des deux déléguées d’élèves au conseil de classe qui pouffent et grignotent. Le plus surprenant dans l’affaire est l’attitude des adultes qui, durant ce même conseil, ne reprennent pas les déléguées. Pourquoi se gêneraient-elles alors ? Elles se moquent éperdument de l’autorité, puisqu’à aucun moment il n‘en est question dans le film.
Au-delà de son manque d’autorité, la pauvreté pédagogique de François Marin m’insupporte. Ainsi avoue-t-il à un collègue qu’il ne se voit pas faire étudier Voltaire à ses élèves, jugeant l’auteur et ses oeuvres trop difficiles pour des 4ème. Que penser enfin de l’humour plus que douteux de ce professeur, qui, aux dires de ses élèves, les « charrie » ?
Vous enseignez en ZEP. Est-il aussi pénible d’enseigner dans ce type d’établissement que le prétend le film ?
V.B. : J’ai choisi d’enseigner par vocation. Il est vrai que, dans l’idéal, j’aimerais avoir des élèves disponibles, attentifs, prêts à apprendre. C’est rarement le cas en ZEP. En début d’année, je perds du temps à établir un climat de confiance et de travail au sein de mes classes et par la suite, il me faut sans cesse veiller à retenir l’attention des élèves, qui ne parviennent pas toujours à distinguer la cour de récréation du cours. Je m’épuise souvent à corriger des lacunes langagières de certains d'entre eux, qui ne maîtrisent pas le B.A.-B.A à l’écrit et pour lesquels comprendre un texte et des consignes ne va pas de soi. Je me demande sans cesse si je vais parvenir à les aider, à les faire progresser.
Le film falsifie la réalité des établissements classés en ZEP. A aucun moment n’y sont évoquées les questions du racket, des vols, des violences entre les élèves, des agressions physiques à l’égard du personnel enseignant, pas plus que celles concernant le prosélytisme religieux, les sujets tabous dans les salles de classe… Le chahut des élèves y est une mascarade. Il cache en réalité des problèmes bien plus graves et polémiques. On ne peut se contenter de filmer entre les murs d’un établissement scolaire pour comprendre tout ce qui se joue dans certaines banlieues. La vie de la cité pénètre dans l’enceinte du collège.
De quels moyens un professeur dispose-t-il aujourd’hui pour faire régner l’ordre dans sa classe ?
V.B. : Un professeur dispose avant tout de son bon sens, d’énergie et de courage pour faire régner l’ordre dans sa classe. Les élèves ont besoin de sentir qu’ils ont en face d’eux un adulte responsable qui sait poser des limites et qui ne leur fait pas croire qu’il est leur égal. L’enseignant est celui qui est censé transmettre un savoir, un savoir-faire et un savoir-être ; pas le copain à qui l’on peut répondre avec familiarité.
Le professeur doit également faire appel à toute son énergie pour réussir à intéresser ses élèves. S’il y parvient, la partie est gagnée, car des collégiens attentifs sont en général disciplinés. C’est l’ennui qui génère en partie l’énervement et le chahut. La fonction première du professeur n’est pas de se faire aimer de ses élèves, mais de les faire progresser.
V.B. : Dans le film, le professeur François Marin commet de multiples erreurs. Le jour de la rentrée scolaire, il laisse le chahut s’installer dans la salle de classe sans réagir. Il demande même aux élèves l’autorisation de parler et, lorsqu’une adolescente lui répond du tac au tac, « j’vous autorise », il ne la reprend pas. Les élèves savent donc d’emblée qu’ils peuvent tout se permettre avec cet adulte qui leur permet tout. Il ne pose aucun cadre et n’installe jamais le silence en début d’heure pour marquer le commencement du cours. La salle de classe devient ainsi une extension de la cour de récréation.
Tout découle de ce laisser-aller. Le professeur ne reprend pas les erreurs langagières des élèves. Il va même jusqu’à employer le terme de « pétasses » pour qualifier l’attitude des deux déléguées d’élèves au conseil de classe qui pouffent et grignotent. Le plus surprenant dans l’affaire est l’attitude des adultes qui, durant ce même conseil, ne reprennent pas les déléguées. Pourquoi se gêneraient-elles alors ? Elles se moquent éperdument de l’autorité, puisqu’à aucun moment il n‘en est question dans le film.
Au-delà de son manque d’autorité, la pauvreté pédagogique de François Marin m’insupporte. Ainsi avoue-t-il à un collègue qu’il ne se voit pas faire étudier Voltaire à ses élèves, jugeant l’auteur et ses oeuvres trop difficiles pour des 4ème. Que penser enfin de l’humour plus que douteux de ce professeur, qui, aux dires de ses élèves, les « charrie » ?
Vous enseignez en ZEP. Est-il aussi pénible d’enseigner dans ce type d’établissement que le prétend le film ?
V.B. : J’ai choisi d’enseigner par vocation. Il est vrai que, dans l’idéal, j’aimerais avoir des élèves disponibles, attentifs, prêts à apprendre. C’est rarement le cas en ZEP. En début d’année, je perds du temps à établir un climat de confiance et de travail au sein de mes classes et par la suite, il me faut sans cesse veiller à retenir l’attention des élèves, qui ne parviennent pas toujours à distinguer la cour de récréation du cours. Je m’épuise souvent à corriger des lacunes langagières de certains d'entre eux, qui ne maîtrisent pas le B.A.-B.A à l’écrit et pour lesquels comprendre un texte et des consignes ne va pas de soi. Je me demande sans cesse si je vais parvenir à les aider, à les faire progresser.
Le film falsifie la réalité des établissements classés en ZEP. A aucun moment n’y sont évoquées les questions du racket, des vols, des violences entre les élèves, des agressions physiques à l’égard du personnel enseignant, pas plus que celles concernant le prosélytisme religieux, les sujets tabous dans les salles de classe… Le chahut des élèves y est une mascarade. Il cache en réalité des problèmes bien plus graves et polémiques. On ne peut se contenter de filmer entre les murs d’un établissement scolaire pour comprendre tout ce qui se joue dans certaines banlieues. La vie de la cité pénètre dans l’enceinte du collège.
De quels moyens un professeur dispose-t-il aujourd’hui pour faire régner l’ordre dans sa classe ?
V.B. : Un professeur dispose avant tout de son bon sens, d’énergie et de courage pour faire régner l’ordre dans sa classe. Les élèves ont besoin de sentir qu’ils ont en face d’eux un adulte responsable qui sait poser des limites et qui ne leur fait pas croire qu’il est leur égal. L’enseignant est celui qui est censé transmettre un savoir, un savoir-faire et un savoir-être ; pas le copain à qui l’on peut répondre avec familiarité.
Le professeur doit également faire appel à toute son énergie pour réussir à intéresser ses élèves. S’il y parvient, la partie est gagnée, car des collégiens attentifs sont en général disciplinés. C’est l’ennui qui génère en partie l’énervement et le chahut. La fonction première du professeur n’est pas de se faire aimer de ses élèves, mais de les faire progresser.