Ces professeurs sacrifiés sur l'autel du prêt-à-penser

De quoi a t-on encore le droit de débattre avec les élèves à l'école ? C'est la question que je me pose en apprenant que l'un de mes confrères, un professeur d'histoire-géographie d'un lycée de Manosque (Alpes-de-Haute-Provence) qui, après avoir été suspendu quatre mois et fait l’objet d’une enquête pour avoir projeté à ses élèves une vidéo anti-avortement , vient d'être révoqué... sans la moindre indemnité !

Pour ma part, j'ai visionné cette vidéo et n'ai pas tenu plus de deux minutes. Je dois bien avouer que je n'aurais jamais cru possible l'existence de telles pratiques barbares ! Une fois de plus, j'ai l'impression d'avoir été flouée sur un sujet que l'on ne m'a "servi" depuis mon adolescence que sous un angle positif. Ce film a bousculé mes certitudes et je comprends les élèves qui ont quitté précipitamment la classe avant la fin de la projection.

Néanmoins, on peut légitimement s'interroger sur le bien-fondé de certaines pratiques de cet enseignant. Devait-il obliger les élèves à regarder la vidéo dans son intégralité sous peine d'être notés absents ? Je ne le pense pas. La cruauté qui transparaît à travers ces images est d'une telle intensité que nul ne peut forcer quiconque à les visionner, à moins de se prendre pour l'un des tortionnaires d'Orange mécanique...

D'autre part, le professeur a-t-il précisé à ses élèves que les scènes n’avaient pas été filmées en France, mais en Espagne - peut-être dans des cliniques illégales - où les délais pour avorter dépassent largement les 12 semaines légales pratiquées en France ?

Enfin, l’enseignant a sans nul doute outrepassé ses droits en distribuant à ses élèves des tracts d’une association anti-avortement, ajoutant qu’il ne fallait utiliser ni la pilule ni le préservatif. Dans de telles conditions, qu’un enseignant puisse être rappelé à l’ordre par sa hiérarchie ne me choque pas.

Mais fallait-il pour autant le suspendre, comme l’a fait le ministre de l’Éducation nationale ? Il me semble que Luc Chatel aurait été bien plus inspiré d’exiger du professeur qu’il invitât des partisans à l'avortement (personnes du planning familial, médecins...) pour présenter aux élèves une autre approche du sujet et susciter ainsi un vrai débat dans la classe (NB : Selon les dires du professeur qui s'est depuis exprimé sur le sujet, un vrai débat a eu lieu).

« Ce qui s'est passé est inacceptable, les professeurs sont tenus à un principe de neutralité, de respect de la personne» a rappelé le ministre de l'Éducation nationale (Le Parisien.fr). Evoquer ces principes pour justifier sa décision de suspendre cet enseignant me semble inapproprié. N’est-il pas en effet paradoxal d’accuser de manquer au « respect de la personne » un enseignant qui, en s’opposant au droit à l’avortement, défend justement le droit à la vie ?

Enfin, concernant le « principe de neutralité », ce n’est pas la première fois qu’il est avancé. Dans mon blog, j’avais déjà pris la défense d’une autre enseignante, elle aussi abandonnée par les syndicats et accusée par sa hiérarchie de manquer à ses obligations de « neutralité et de laïcité » pour avoir fait visiter chaque année à des lycéens le camp de concentration d’Auschwitz. Elle a depuis été réintégrée, notamment grâce au Crif.

Elle avait par ailleurs été soutenue par une partie de ses élèves, l’une d’elles la félicitant de ne pas faire partie « de ces enseignants qui n'enseignent ni le génocide des juifs, et encore moins la shoah parce la majorité de leurs élèves sont musulmans ». Il en va de même pour le professeur pro-avortement qui déclare : «une immense majorité des élèves est contente du débat qui a eu lieu sur l'avortement ; toute une classe vient d'ailleurs de refuser de témoigner contre moi. » (Rue89)

Comme ces élèves, je pense que toutes les idées doivent pouvoir librement s’exprimer dans l’enceinte scolaire (censée former de futurs citoyens) et être combattues par ceux qui ont des idées opposées et non par les tribunaux déjà suffisamment encombrés comme cela. A ce rythme, bon nombre de professeurs siégeront sur le banc des accusés.

A l’exception peut-être de certains d’entre eux, qui, au travers de projets pédagogiques et rédaction de manuels scolaires, prônent la victimisation et la repentance à outrance, et ne sont pas, eux, inquiétés pour manquer à leur devoir de neutralité ! « Malheureuse neutralité qui forme tant de fausses consciences ». Cette citation de Louis Bourdaloue qui remonte au XVIIème siècle est hélas toujours d’actualité…

VB

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