Lettre vraie à la jeunesse

Difficile ces derniers temps d’échapper à la Lettre à la Jeunesse de Rama Yade tant les médias en assurent la couverture. Il faut dire que l'ex-Ministre de la Jeunesse et des Sports reste l’une des personnalités préférées des Français et qu’elle passe plutôt bien à l’écran. Mais est-elle vraiment la mieux placée pour se faire la porte-parole de la jeunesse d’aujourd’hui ?

La Ministre voudrait en effet faire croire, à qui veut bien l’entendre, que vouloir, c’est pouvoir. Débarquée du Sénégal à l’âge de 11 ans, sachant à peine parler le français (je renvoie à ce sujet à son intervention durant l’émission On n’est pas couché diffusée le 23 octobre dernier sur France 2), à force de bonne volonté et de ténacité, aurait gravi les échelons pour se retrouver ministre de la République à 30 ans à peine.

Ainsi, de par son parcours, elle incarnerait la réussite et serait la preuve vivante qu’avec un peu de bonne volonté, quiconque le souhaite peut réussir dans ce pays, quels que soient son milieu social et sa couleur de peau. Mes élèves de banlieue sont donc promis à un bel avenir… et tant pis s’ils n’ont pas, comme Rama Yade, un père diplomate et secrétaire particulier du président Léopold Sédar Senghor, comme on peut le lire sur wikipédia.

Mais loin de moi l’idée de vouloir accabler l'ancienne Ministre de la Jeunesse et des Sports. Après tout, elle n’est qu’un exemple parmi d’autres. En effet, l’hypocrisie est générale et bon nombre de tenanciers du Système sont des donneurs de leçon. A les entendre, ils viennent tout droit de la banlieue. Sauf que leur banlieue à eux, c’est plutôt Auteuil Neuilly Passy.

Pour ma part, rien ne me prédestinait à côtoyer ce petit monde. J’enseigne depuis bientôt quinze ans dans des établissements scolaires en banlieue parisienne qui, pour la plupart d’entre eux, sont considérés comme "difficiles". C’est uniquement parce que "la banlieue" est à la mode et que je la connais bien de par mon métier que j’ai eu l’occasion d’être approchée de très près par l’édition, le cinéma, les médias ou la politique.

En effet, des gens comme moi n’intéressent les caciques des sphères politico-médiatiques que pour servir leurs intérêts, appuyer leurs discours, les éclairer sur un sujet qui les dépasse. Une fois qu’ils ont obtenu ce qu’ils voulaient, ils vous jettent comme un kleenex, comme ils le font avec tant d’autres… Pour ces privilégiés, je sais que je resterai à leurs yeux une simple prof de banlieue, issue de la classe populaire, ne faisant pas partie de leur monde.

Cette sorte de vie schizophrène m’a ainsi permis de mieux comprendre comment le système fonctionnait. Tandis que les classes populaires travaillent péniblement pour boucler leurs fin de mois, jamais ces VIP ne déboursent le moindre centime d’euro dans un monde où tout leur est dû : voitures avec chauffeur, cocktails dînatoires, cadeaux offerts par de grandes marques … Sont-ils prêts à partager l’immense gâteau dont ils ne cessent de se repaître, parfois jusqu’à l’écœurement ? N’y comptez pas : vous n’aurez rien, pas même une miette. "Donner" ne fait pas partie de leur vocabulaire.

Pourtant, à lire la quatrième de couverture de Lettre à la Jeunesse, on aimerait croire que les jeunes puissent, eux aussi, saisir leurs chances : "Rama Yade exhorte les jeunes français à déranger, à être les acteurs du changement et à être au rendez-vous de la France. Ils en sont désormais les dépositaires. Si la patrie était leur horizon ?"

Déranger le système, certes, mais jusqu’à quel point ? Combien de jeunes gens, biberonnés par des émissions de téléréalité, se bercent de douces illusions en croyant réussir dans cette société grâce à une bonne dose de dynamisme, de créativité et d’ambition ?

Et si à mes élèves, je tenais un discours de vérité en leur expliquant que malgré leurs bonnes notes à l’école, leur rage de réussir ou leurs aptitudes, rien, en France, ne vaut le piston ? Sortir major de promo d’une école prestigieuse ne fera jamais le poids si vous avez pour concurrent le neveu du patron !

Les "acteurs du changement" nous dit la Ministre ? Comment les jeunes pourraient-ils l’être si on ne leur confie jamais aucune responsabilité et qu’ils n’accèdent jamais à une véritable autonomie financière ? Et puis tous ceux qui sont dans ce système ont-ils réellement envie de le changer ?

Un discours, je pourrais donc en tenir un à mes élèves de banlieue. Une lettre vraie à la jeunesse. Ces derniers seraient à même de comprendre à quel point les élites se moquent d’eux, les manipulent. Les casseurs eux, n’ont pas attendu qu’on leur donne la permission pour se servir. Si les élites continuent de se replier sur elles-mêmes, alors il ne faudra point s’étonner qu’un jour, le citoyen respectable soit tenté d’imiter les voyous.

VB

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